• Un étalage de tissus à l'île Maurice

    Paul et Virginie sont les héros malheureux du célèbre roman de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie, publié en 1806.

    Les deux enfants ont grandi côte à côte, en toute simplicité, sur l'île de France, une île paradisiaque devenue aujourd'hui l'île Maurice. Leur bonheur prend fin quand la riche tante de Virginie s'avise de faire venir en France sa nièce pour parfaire son éducation. La mère de Virginie reçoit un sac de piastres pour pourvoir aux préparatifs du voyage. 

    Les marchands de l'île viennent aussitôt proposer leurs services.

     

    Cependant le bruit s’étant répandu dans l’île que la fortune avait visité ces rochers, on y vit grimper des marchands de toute espèce. Ils déployèrent, au milieu de ces pauvres cabanes, les plus riches étoffes de l’Inde ;  de superbes basins de Goudelour, des mouchoirs de Paliacate et de Mazulipatan, des mousselines de Daca, unies, rayées, brodées, transparentes comme le jour, des baftas de Surate d’un si beau blanc, des chittes de toutes couleurs et des plus rares, à fond sablé et à rameaux verts. Ils déroulèrent de magnifiques étoffes de soie de la Chine, des lampas découpés à jour, des damas d’un blanc satiné, d’autres d’un vert de prairie, d’autres d’un rouge à éblouir ; des taffetas roses, des satins à pleine main, des pékins moelleux comme le drap, des nankins blancs et jaunes, et jusqu’à des pagnes de Madagascar.

    Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre, Paul et Virginie

    Cette énumération nous est offerte pour le seul plaisir des sens. Cette abondance d'étoffes aux noms exotiques donne une impression de luxe et de somptuosité, renforcée par les touches de couleurs. Pourtant, parmi des tissus raffinés se cachent aussi des étoffes plus communes. 

    Quelques explications techniques :

    Le basin, étoffe créée à Lyon en 1580, présentait une chaîne de fil et une trame de coton. Ce tissu fut très populaire au 18e siècle. Il apparaît dans de nombreux vêtements, ainsi que dans le mobilier, les garnitures de baignoire et les rideaux. La trame, plus grosse que la chaîne, donnait un effet de côtes. L'étoffe comportait parfois une alternance de rayures tissées en taffetas (armure de toile) et en sergé.
    Au 19e siècle, le terme basin a été attribué improprement à de nombreux tissus rayés.
    Le basin des Indes diffère quelque peu : il s'agit d'un tissu sergé, croisé ou à carreaux, en soie tordue. Gondelour ou Goudelour est une ville proche de Pondichéry. Le basin de Goudelour  désigne par conséquent un basin des Indes. 

    Les basins des Indes sont blancs & sans poil ; les uns croisés & sergés ; les autres à carreaux & ouvrés. Les meilleurs se fabriquent à Bengale, Pondichery, & Belcasor.

    Il n’est pas besoin d’avertir que les barres dans ce genre d’étoffe, ou plutôt de toile, sont faites par certains fils de chaîne filés plus gros que les autres, & placés à des distances égales, & que les raies sont faites par des fils de la chaîne filés moins gros que ceux qui forment les barres, mais plus gros que les autres, placés à des distances égales sur la barre.

    Diderot et d'Alembert, L'encyclopédie

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    Le mouchoir de Paliacate,  ou tout simplement paliacate, était un fichu que l'on nouait sur la tête. Paliacate est la déformation de Pulicat, ville d'Inde, un port fondé autrefois par les Portugais, situé au nord de Chennai, l'ancienne Madras. Il est d'ailleurs vraisemblable que le tissu dénommé madras soit en fait originaire de Pulicat.  
    Si le mouchoir de madras, aux carreaux vivement colorés, est devenu une pièce de vêtement traditionnel aux Antilles, savamment noué sur la tête des femmes créoles, le mouchoir de paliacate, présentant souvent des motifs cachemire, appartient pour sa part à la panoplie traditionnelle du Mexique, où il a été fabriqué à la fin du 19e siècle. On le porte noué autour du cou ou autour de la tête. Devenu un accessoire de mode, il joue un rôle similaire à celui du bandana.

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    Masulipatan est une autre ville d'Inde, qui produisait une très fine toile de coton peinte, du même nom, qui servait à fabriquer des mouchoirs.

    MASULIPATAN, (Géog.) petite ville mal bâtie, mais très-peuplée, des Indes, sur la côte de Coromandel dans les états du mogol. Ses toiles peintes sont les plus estimées de toutes celles de l’orient. Il s’y fait un commerce prodigieux, & plusieurs nations d’Europe y ont des comptoirs. La chaleur y est cependant insupportable au mois d’Août, de Mai & de Juin.

    Diderot et d'Alembert, L'encyclopédie

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    La mousseline est une toile de coton, très fine et vaporeuse, généralement blanche ou écrue. La Compagnie des Indes orientales importait la mousseline au 18e siècle. On commença à en produire en France, à Tarare, à partir de 1750.

    La mousseline devint en vogue. La reine Marie-Antoinette elle-même se mit à porter une "gaulle", simple robe de mousseline attachée à la taille par un ruban : en août 1779, de retour de couches, elle parut dans les jardins du Petit Trianon vêtue de cette tenue. Cela choqua beaucoup, car c'était la première fois qu’une reine de France portait en public une tenue "négligée". Pourtant les élégantes s’empressèrent de l’imiter, à Versailles, en France, puis dans le monde entier, portant la "chemise à la reine" mise à la mode par Marie-Antoinette. 

    Un célèbre portrait de la reine Marie-Antoinette par Mme Vigée-Le Brun la représente vêtue d'une robe de mousseline. Ce portrait, dont l'original semble perdu, a fait l'objet de plusieurs répliques par son auteur, disséminées dans différentes collections. Exposé au Salon de 1783, le portrait, malgré les louanges du Mercure et du Journal de Paris, essuya des critiques si vives qu'il dut être retiré et remplacé par un autre portrait, celui dit Marie-Antoinette à la rose. Mme Vigée-Lebrun évoque dans ses souvenirs le portrait qu'elle fit de la reine "la représentant coiffée d'un chapeau de paille et habillée d'une robe de mousseline blanche dont les manches sont plissées en travers mais assez ajustées : quand celui-ci fut exposé au Salon, les méchants ne manquèrent pas de dire que la reine s'était fait peindre en chemise."
    Les Mémoires secrets pour servir à l'histoire de la République des lettres en France, un ouvrage collectif publié entre 1780 et 1789, racontent que Mme Vigée-Lebrun avait exposé au salon de 1783

    trois portraits de la famille royale, ceux de la Reine, de Monsieur, de Madame. Les deux princesses sont en chemise *,  costume imaginé depuis peu par les femmes. Bien des gens ont trouvé déplacé qu'on offrît au public ces augustes personnages sous un vêtement réservé pour l'intérieur de leur palais. Il est à présumer que l'auteur y a été autorisé et n'aurait pas pris d'elle-même une pareille liberté.
    * depuis que ceci est écrit, on a senti l'indécence de ce costume, surtout pour la reine, et il est venu des ordres supérieurs de retirer le tableau.

    Un étalage de tissus à l'île Maurice

     Louise Elisabeth Vigée-Lebrun   Marie Antoinette en gaulle

    National Gallery of Art, Washington

    La mousseline de Dacca, au Bengale, est une mousseline extrêmement légère, blanchie ou imprimée, servant à la confection des turbans.
    Dacca ou Dhaka est aujourd'hui la capitale du Bangladesh.

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    Le baffetas, ou baftas, était une grosse toile de coton bon marché, blanche ou colorée, très répandue aux 18e et 19e siècles. C'est un des premiers tissus importés des Indes orientales, en particulier de Bénarès, où il était produit en grande quantité. Il présentait souvent des rayures alternant avec un motif de fleurs stylisées. On le rencontrait sous d'autres dénominations, selon le lieu de fabrication : orgagis, dabouis, noffaris, gaudivis, nerindes...

    Le meilleur baffetas, selon L'encyclopédie, était celui de Surate, une ville du Gujarat, sur la côte ouest de l'Inde. 

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    La chite était une toile de coton imprimée et peinte, qui était très appréciée. Ses couleurs étaient solides, aussi pouvait-on en faire des tapis. Elle était produite en Inde, en différents endroits, et était vendue jusqu'au Japon et en Chine par les négociants hollandais et anglais.

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    Cela semble superflu de présenter la soie de Chine. Un petit mot pourtant pour rappeler que ce sont bien les Chinois qui mirent au point la technique permettant de fabriquer la soie à partir des chenilles du bombyx du mûrier. Ils produisaient déjà des étoffes de soie il y a plus de 4 000 ans. Selon la légende, Hsi-Lin-Shih, épouse de l'empereur, buvait le thé sous un mûrier lorsqu’un cocon tomba dans sa tasse. Tandis qu’elle observait le cocon, celui-ci se transforma en un fil blanc solide. L’ayant déroulé sur son doigt, elle se rendit compte que ce fil pouvait être utilisé pour le tissage. C'est ainsi que serait né l'art de fabriquer la soie. Le secret était soigneusement préservé : toute personne en possession d’oeufs de vers a soie, de cocons ou de graines de mûrier était mise a mort. Les vêtements de soie, interdits aux gens du commun, étaient un signe de richesse. Mais après trois millénaires d'exclusivité (ou de quasi exclusivité), le secret soigneusement préservé finit par se répandre hors des frontières de Chine. En Europe, l'art de fabriquer la soie resta longtemps le monopole de l'Empire romain d'Orient. Ce n'est qu'à la fin du Moyen Âge que l'Europe occidentale commença à produire de la soie. La France, après avoir favorisé la sériciculture par des  actions de protectorat, elle industrialise sa production, en particulier à Lyon, au 19e siècle.
    Aujourd'hui, la production de soie est de nouveau essentiellement en Asie.

    La locution 'soie de Chine' n'apporte aucune indication sur le type de tissu évoqué. 

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    Le lampas (prononcer 'lampa' !) est  probablement originaire de Chine ou de Perse. Cette somptueuse étoffe, apparentée au damas, est faite de fils de soie, mais aussi d'or ou d'argent. Réalisée sur des métiers à la tire, elle présente des motifs en relief, de couleur différente du fond. Le lampas était très répandu au 18e siècle, pour l'ameublement ou les vêtements.

    Un étalage de tissus à l'île Maurice

    Motif de lampas sur un habit d'homme, 1715

    Toutefois, on cherche en vain des "lampas découpés à jour" documentés... Il semble qu'il s'agisse là d'un effet imaginé par l'auteur.

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    Le damas (prononcer 'damasse') est une étoffe de soie, généralement monochrome, caractérisée par un contraste de brillance entre le fond et le dessin formé par le tissage : sur une armure de sergé ou de satin, on use alternativement d'un effet de chaîne et de trame qui détermine, par inversion, des zones brillantes et des zones mates. L'envers ne présente pas de fils flottés, mais des effets inversés. Il est par conséquent double face.

    Le damas tire tout simplement son nom de la ville de Damas, en Syrie, où il aurait été abondamment produit, mais le procédé serait peut-être d'origine vietnamienne ou chinoise. 

    Importé en Europe de tout l'Orient, de Perse ou de Chine, dès le 5e siècle, le damas était une étoffe précieuse. Il fut introduit en France à la fin du 15e siècle. Tours et Lyon produisaient du damas de soie. Le pays de Caux, notamment, produisait un damas de coton, moins précieux. Au 19e siècle, le métier Jacquard facilitera l'exécution de damas compliqués et le linge damassé se démocratisera rapidement. 

    Un étalage de tissus à l'île Maurice        Un étalage de tissus à l'île Maurice  Un étalage de tissus à l'île Maurice

     

    "des damas d’un blanc satiné, d’autres d’un vert de prairie, d’autres d’un rouge à éblouir"

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    Le taffetas (prononcer 'tafta) est un nom d'origine persane, signifiant 'tissé'. C'est un tissu fameux, mentionné à la fin du Moyen Âge sur les marchés de Tauris et de Samarkand. Au 14e siècle, il commence à être produit en Italie, puis en France, à Lyon, à Tours, à Avignon, à Paris et à Montpellier. Toujours à la mode, il sert aussi bien à la confection des vêtements qu'à l'ameublement de luxe.

    Le nom 'taffetas' devient finalement  un nom générique pour toutes les étoffes de soie à armure toile. Selon ses multiples variantes, le taffetas voit son nom complété en fonction de la couleur des étoffes, de la qualité de la soie en chaîne ou en trame, du décor, de l'association avec d'autres tissus ou du lieu de fabrication.

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    Le satin est un nom dérivé de l'arabe zayntouni, désignant la ville chinoise de Tsia-Toun, l'actuelle Quanzhou, en passant par l'espagnol aceituni. Le mot satin désigne d'abord une armure particulière, puis les tissus fabriqués suivant cette armure : l'armure de satin, dérivée du sergé, présente sur l'endroit du tissu des liages masqués sous de longs fils flottés juxtaposés. L'endroit apparaît ainsi uni et brillant, tandis que l'envers est mat à cause des liages visibles. Le satin peut être de coton, de laine ou de soie. Le satin ne s'est jamais démodé et ses variantes sont innombrables. 

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    Le pékin, dont l'origine chinoise est évidente, est à l'origine une soie peinte avec une sorte de gouache, très en vogue comme tissu d'ameublement au 18e siècle. Plus tard, le pékin désigne un tissu de soie à rayures brillantes et mates constituées par des armures alternées, dont l'effet est accentué par la teinture.

    Il s'agit d'une étoffe assez raide, et présentant des reliefs. 

     

    Un étalage de tissus à l'île Maurice

    Un pékin contemporain, rayé de satin et de gros de Tours

    Le mot 'drap' s'applique très largement à un large ensemble de tissus. Il s'agit à l'origine d'une étoffe de laine, avec des fils de chaîne à forte torsion et des fils de trame 'floches', c'est-à-dire faiblement tordus. 

    Aussi, le "pékin moelleux comme le drap" paraît hautement improbable. Il faut voir là encore un effet de style de l'auteur. 

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    Comme le pékin, le nankin porte le nom d'une ville de Chine. Pourtant, les tissus ne se ressemblent guère. Le nankin est à l'origine une toile ou un sergé de coton, dont la couleur jaune chamois ou brun jaunâtre était due à la teinte du coton chinois mal nettoyé.

    Lisse et serré, solide, le nankin fut importé en très grande quantité, avant d'être imité en Suisse et en Angleterre. Curieusement, on imita aussi sa teinte caractéristique d'origine, par la teinture. La France produisit à son tour, dans le Nord et en Normandie, du nankin, pour répondre à la forte demande locale, mais aussi à l'exportation vers l'Amérique. En effet, le nankin fut largement utilisé pour la confection des vêtements d'homme d'été (pantalons, vestes, gilets), notamment pour les uniformes, et dans l'ameublement.

    On voit qu'il ne s'agit pas d'un tissu particulièrement luxueux.

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    Le pagne est une pièce d'étoffe non cousue, rectangulaire, dont on se drape le corps de la taille aux cuisses ou aux chevilles. 

    Ce tissu, très simple et somme toute d'origine locale, offre un contraste saisissant avec les merveilleuses étoffes d'origine lointaine qui ont été énumérées auparavant.

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