• Mousseline aux fraises et autres recettes exigeant le tamis de Venise

    Dans le foisonnant roman de Georges Perec, La vie mode d'emploi, nous pénétrons dans un appartement de l'immeuble de la rue Simon-Crubellier, au troisième-droite. Georges Perec nous y propose une recette, non testée, de mousseline aux fraises.

    Et pour le même prix, je vous propose deux recettes de plus : la glace de poires de Crassane et le coulis de chapon.

     

    Une scène étonnante se déroule dans le salon de l'appartement. Alors que des néophytes de la secte Shira Nami se livrent à des épreuves d'initiation, un livre d'art culinaire est ouvert sur un pupitre à musique,

    sur une illustration représentant une réception donnée en 1890 par Lord Radnor dans les salons de Longford Castle. Sur la page de gauche, encadrée de fleurons modern-style et d'ornements en guirlande, est donnée une recette de 

    MOUSSELINE AUX FRAISES

    Prendre trois cents grammes de fraises des bois ou des quatre-saisons. Les passer au tamis de Venise. Mélanger avec deux cents grammes de sucre en glace. Mélanger et incorporer à l'appareil un demi-litre de crème fouettée très ferme. Remplir de cet appareil de petites caisses rondes en papier et mettre à rafraîchir deux heures dans une cave à glace légèrement sanglée. Au moment de servir, placer une grosse fraise sur chaque mousseline.

    Sous son apparente simplicité, cette recette présente deux curieuses complications qui méritent un approfondissement : 

    • Le tamis de Venise : a priori, il devrait s'agir d'une sorte de passoire fine. Mais les premières recherches sur internet laissent pantois : des professionnels de la pâtisserie s'interrogent sur ce que peut être un tamis de Venise, qui serait exigé dans certaines recettes, en particulier de glaces italiennes. La question posée sur des forums italiens ne trouve pas de réponse.

      Un internaute (petit malin ou vrai médecin ?) prétend sur un forum gastronomique que "le tamis de Venise est une accumulation de matières fécales déshydratées et stagnantes dans le rectum." Il décrit en fait le fécalome. On ne voit pas le rapport. Passons notre chemin.

      On pourrait douter sérieusement de l'existence du tamis de Venise en tant qu'ustensile de cuisine... Pourtant, le Livre de pâtisserie de Jules Gouffé, datant de 1873, nous rassure : le tamis de Venise existe bel et bien, puisque son usage est préconisé dans de nombreuses recettes aux fruits, par exemple, dans la recette de la glace de poires de Crassane : 

    Épluchez 8 poires de Crassane.

    Faites-les cuire dans du sirop léger.

    Lorsqu’elles sont bien cuites, passez-les au tamis de Venise.

    Ajoutez 4 décilitres de sirop à 32 degrés, plus 5 décilitres de crème double.

    Repassez au tamis.

    Finissez comme la glace à l’ananas.

    Le site Marie-Claire nous indique qu'une mousseline peut être utilisée pour remplacer le tamis de Venise. Logique... On conclura que le tamis de Venise est un tamis fin. Mais on ne sait toujours pas à quoi il ressemble !

    Allez ! je continue mon exploration et tombe sur  un blog  très documenté consacré à La cuisine du 19e siècle . On y retrouve notre tamis de Venise, effectivement décrit comme un tamis fin, dans une recette bien antérieure au 19e siècle, puisqu'elle est extraite du Viandier, le grimoire de cuisine de Guillaume Tyrel, dit Taillevant (1314-1395) : le coulis de chapon. Voici la recette :

    Prendre un chapon et bien le cuire dans un bouillon de légumes, une fois cuit, enlevez le blanc et le passez au mortier, puis au tamis de Venise. Mettre le résultat dans un poêlon et le mouiller avec le jus de cuisson , laissez réduire à feu doux, goûtez l’assaisonnement et ajoutez une purée d’amandes, et de jaunes d’oeufs bien fouettés, remettre à cuire sans faire bouillir pendant un court moment. On s’en sert pour lier les potages ou sauces riches.

    • Une cave à glace légèrement sanglée...

    Apprenez que "sangler" est un terme culinaire. Sangler un appareil liquide aux œufs, à la crème, au sirop, c'est le transformer en glace, crème glacée ou sorbet, par exemple à l’aide d’une turbine à glace ou sorbetière, ou bien en entourant le récipient contenant l'appareil de glace pilée et de gros sel. 

     


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