• Du bruit dans Landerneau

    Le champ lexical du bruit est riche de nombreuses expressions très imagées dont l'origine est variée.

    Intéressons-nous ici aux mots exprimant un bruit particulièrement fort et pénible, parfois insupportable. Ils offrent une belle palette de sonorités intrigantes. 

    Ecoutez plutôt...

    Tintamarre, ramdam et boucan...

    ...charivari, sabbat et vacarme...

    ... chahut, tohu-bohu et sarabande...

    ...chambard, tapage et barouf

    Tintamarre

    Le tintamarre est un grand bruit discordant, associé à la notion de confusion et de désordre.

    Il y avait dans les sycomores un tintamarre de fauvettes. (Victor Hugo, Les Misérables)

    Pour ceux qui douteraient que le chant des fauvettes puisse être à proprement parler discordant, je rappellerai combien le piaillement à tue-tête de passereaux ayant investi la frondaison d'un arbre peut porter sur les nerfs.

    Plus couramment, le tintamarre s'applique au bruit du tonnerre, par exemple, ou au bruit produit par des instruments dissonants :

    L'embarras des chasseurs succède au déjeuné
                Chacun s'anime et se prépare:
    Les trompes et les cors font un tel tintamarre
                Que le bon homme est étonné. (La Fontaine, "Le Jardinier et son seigneur", Fables IV, 4)

    Le tintamarre de trompes et de cors de La Fontaine nous ramène précisément au sens premier du mot tintamarre, qui s'applique à l'origine au bruit produit en frappant sur quelque chose et qui a désigné plus particulièrement une chasse nocturne aux ramiers, consistant à étourdir les oiseaux par un grand bruit de tambours et de poêles (Grand dictionnaire de la langue française, Alain Rey). 

    Curieusement, ce mot associé à un certain éclat est issu du verbe tinter qui évoque, dans son emploi actuel, des sons métalliques plutôt légers, même si, à l'origine, tinter se disait du son clair rendu par une cloche.  

    Quant au suffixe -marre, si Alain Rey en ignore l'origine, plusieurs sites ont une idée sur la question : ainsi, selon La France pittoresque, c'est un duc du Berry qui, au Moyen Âge, par souci du bien-être de ses sujets !, aurait demandé aux travailleurs dans les champs entendant sonner l'angélus du soir de frapper sur leur 'mare' (un outil en forme de pelle pour tracer des sillons dans les vignes), afin d'avertir les autres travailleurs de la fin de la journée de travail.
    Etrange, cette histoire de socialiste avant l'heure qui entend limiter la durée de la journée de travail...

    Ramdam

    Le ramdam traduit familièrement un tapage, associé à l'idée de désordre. Le mot vient de la prononciation arabe dialectale d'Algérie du mot 'ramadan', nom du 9e mois de l'année de l'Hégire, au cours duquel les musulmans pratiquent le jeûne rituel entre le lever et le coucher du soleil.

    'Ramadan' vient lui-même d'un verbe ramida, signifiant être chauffé par le soleil, parce que, quand il a été institué, le mois de ramadan correspondait à une période de l'été. Mais, l'année musulmane étant une année lunaire, le ramadan est mobile et passe depuis par toutes les saisons.... 

    Etienne Dinet Fête de nuit

    Etienne Dinet - Fête de nuit (1891) Coll. privée
    Dinet est un peintre orientaliste impressionniste, converti à l'Islam sous le nom de Nasr Eddine

    Le mot ramdam n'est apparu qu'à la fin du 19e siècle, pour parler d'abord d'un tapage nocturne, en référence aux manifestations bruyantes du ramadan la nuit. Au début du 20e siècle, dans l'argot des Poilus, il s'est dit d'un événement brutal, et dans l'argot des prostituées, de l'amour physique. 

    Boucan

    Boucan est un synonyme de vacarme. J'ai cru longtemps que ce boucan était directement lié au boucan des boucaniers. Ce dernier est un mot d'origine tupi (mokaém), désignant un gril de bois utilisé pour fumer des viandes et des poissons. Le boucanier, de ce fait, était au 17e siècle un aventurier qui chassait le boeuf sauvage à Saint-Domingue pour en boucaner la viande. Par extension, le nom a désigné dès le 17e siècle un pirate des mers de l'Amérique et des Antilles.

    Le Dictionnaire historique de la langue française d'Alain Rey nous apprend que notre boucan bruyant serait malheureusement sans rapport avec l'Amérique. Selon Alain Rey, il pourrait venir d'un verbe boucaner ayant signifié aux 16e et 17e siècles 'imiter le bouc' et également 'fréquenter les mauvais lieux'. Le bouc est en effet souvent un symbole de débauche. Le sens est passé de 'lieu de débauche' à 'vacarme' à la fin du 18e siècle, les lieux de débauche étant souvent bruyants, sur le même mode de glissement sémantique que le mot 'bordel'.

    Charivari

    Le charivari est un tapage.

    Le mot est d'origine obscure, peut-être issu du bas-latin caribaria, sur le grec karêbaria, signifiant 'mal de tête'. On rencontre au 14e siècle le terme chalivali. A l'origine, il s'agissait d'un concert de cris, de huées et de bruits de poêles et de casseroles, fait à l'occasion d'un remariage ou d'un mariage mal assorti, coutume qui a perduré longtemps dans les campagnes. Le sens s'est étendu dès le 15e siècle à tout tapage, notamment pour parler d'une musique discordante.

    Du bruit dans Landerneau

    Le skimmington est l'équivalent anglais du charivari : il s'agit de marquer publiquement et collectivement sa désapprobation envers un membre de la communauté, notamment par des huées et des bruits d'instruments

    Du bruit dans Landerneau

    Le charivari serait peut-être à l'origine de l'expression "cela va faire du bruit dans Landerneau", pour parler, ironiquement, d'un événement dont on va beaucoup parler dans un certain cercle. Mais cela n'est pas certain. 

    On cite trois origines possibles pour cette expression :

    • La première explication n'est pas satisfaisante : selon la tradition, les habitants de la petite cité bretonne se livraient autrefois à un charivari lors du remariage des veuves... Certes, mais, comme nous l'avons vu ci-dessus, c'était une coutume répandue ailleurs qu'en Bretagne, et cela ne suffit pas, à mon sens, à expliquer la formation de cette expression. 
    • Selon une anecdote populaire, le bruit en question aurait été celui du canon du bagne de Brest, à une vingtaine de kilomètres de Landerneau, que l’on faisait tirer lors de l’évasion d’un forçat. Mais dans ce cas, pourquoi du bruit à Landerneau ? Pourquoi pas du bruit à Brest tout simplement ? 
      Par ailleurs, le son d'un canon porte-t-il à 20 kms de distance ? J'aurai eu tendance à répondre que non. Pourtant, les expériences menées en 1738 par Jacques Philippe Maraldi et l'abbé de La Caille entre la tour de Montlhéry et la pyramide de Montmartre, et en 1822 par Arago, Gay-Lussac et Prony entre Villejuif et Montlhéry, destinées à mesurer la vitesse du son, ont prouvé que l'on entendait effectivement le bruit du canon à plus de 20 kilomètres. Je gage toutefois que le bruit ne devait pas être très violent.
    • La troisième explication, qui a l'avantage de l'évidence, est de loin la plus convaincante : le héros de la comédie d'Alexandre Duval, Les héritiers ou Le naufrage (1796), miraculeusement sauvé d’un naufrage, réapparaît à Landerneau au moment où l’on s’apprête à partager son héritage. En le voyant paraître, son domestique s'écrie : "Oh ! le bon tour ! Je ne dirai rien, mais cela fera du bruit dans Landerneau." Cette pièce à succès est restée 30 ans au répertoire de la Comédie-Française. Autant dire que l'expression a eu le temps de devenir populaire.

    Sabbat

    Le sabbat de sorcières sent le soufre ! Il s'agit (s'agissait ?) d'une réunion nocturne de sorciers ou sorcières.

    Le mot serait une reprise du nom du sabbat des Juifs, utilisé par les Chrétiens pour désigner une fête étrange et insolite. Le mot sabbat vient de l'hébreu Shabbat, dérivé probablement étymologiquement du chiffre 7. 

    On dénonce les premiers sabbats de sorcières au début du 15e siècle dans le Valais : sorciers et sorcières rassemblés sacrifieraient des enfants, voleraient dans les airs, participeraient à des cérémonies présidées par le Diable représenté par un bouc, se livreraient à des orgies avec des démons incubes et succubes. La première chasse aux sorcières se déroule dans le canton du Valais à la fin des années 1420 et au début des années 1430. Le mythe du sabbat de sorcières est né. 

    Sabbat de sorcières, Goya, Museo Lázaro Galdiano, Madrid

     Francisco Goya a souvent représenté des réunions de sorciers.
    Ici le Sabbat des sorcières, vers 1798. Museo Lázaro Galdiano, Madrid

    Aujourd'hui, mener un sabbat signifie plus simplement faire du vacarme, se livrer à une bruyante agitation. Toute référence aux sorcières semble avoir disparu, quoiqu'on utilise volontiers la locution 'sabbat infernal'... 

    Ah ! les gaillards ! ils ont déjeuné comme des loups et maintenant, ils sautent, ils crient ! Je ne sais pas comment vous pouvez vivre au milieu d’un sabbat pareil...

    Emile Zola, Fécondité

    Vacarme

    Le vacarme est un bruit assourdissant, un tapage. 

    Il s'agit d'un emprunt ancien au néerlandais wacharme, interjection signifiant mot à mot 'hélas ! pauvre', autrement dit 'pauvre de moi'. D'abord introduit dans la langue française sous la forme wascarme, au 13e siècle, il est employé au sens de "au secours !". Il est lié à l'idée de querelle et de dispute, d'où son emploi ultérieur au sens de "bruit assourdissant", qui est son sens actuel.

    L'instant d'après, la D.C.A. se déchaîna. Elle tirait de partout, des torpilleurs, des cargos, de la plage, du toit des maisons. Le vacarme était assourdissant.

    Robert Merle, Week-end à Zuydcoote

    Chahut

    L'origine du verbe 'chahuter' est obscure. Les dialectes du Centre ont des verbes qui pourraient l'expliquer : cahuer ou cahuter, pour exprimer le cri de douleur d'un chien ; chavouner, signifiant imiter le cri du chat-huant et, partant, pousser des cris, huer quelqu'un qui fuit.

    Ce n'est qu'en 1821 que le verbe chahuter apparaît, au sens de 'mener une danse tapageuse', puis le sens s'étend rapidement à celui de 'faire du tapage'. Dans l'argot des Polytechniciens, il signifie vers 1895 'manifester bruyamment contre un professeur', emploi qui est aujourd'hui le plus courant.

    Le dictionnaire historique de la langue française nous apprend que le déverbal 'chahut' a désigné une danse populaire excentrique et bruyante, à la mode entre 1830 et 1850, proche du cancan.

    Du bruit dans Landerneau

    Une douzaine d’hommes et de femmes déguisés, à moitié ivres, se livraient avec emportement à cette danse folle et obscène appelée le chahut.
    Eugène Sue, Les mystères de Paris (1843)

    C'est un nommé Chicard qui lança en 1830 une danse en quadrille où les danseuses et les danseurs exécutaient l'un après l'autre des figures qualifiées par certains d'hystériques. Danse à la mode, le cancan ou chahut fut introduit à l'Opéra dès 1840, à l'occasion du Carnaval de Paris. 

    Voyons ce qu'en dit Alfred Delvau, journaliste et écrivain sous Louis-Philippe  :

    Ce Cancan ou le Chahut, est à la Danse proprement dite ce que l'argot est à la langue française; c'est la langue verte de la chorégraphie. Il ne faut pas croire, cependant, que le Cancan ait toujours eu le caractère immonde et dégradé que nous lui voyons aujourd'hui sous le nom de Chahut. Le Cancan, de 1830 à 1850 environ, loin d'être une danse grossière et licencieuse, était au contraire plein d'originalité et d'esprit. Il n'était dansé au Prado, à Mabille, à la Grande Chaumière, chez le fameux Lahire, que par la jeunesse honnête et studieuse, et non pas, comme à présent, par la voyoucratie de nos boulevards extérieurs. Peu de nos magistrats, de nos hauts fonctionnaires, de nos hommes politiques les plus en vue, de nos docteurs réputés d'aujourd'hui, n'ont pas connu les quadrilles échevelés de la Tulipe orageuse ou de Polichinelle aux enfers, n'ont pas admiré le fameux Chicard, n'ont pas applaudi aux entrechats risqués, mais encore décents de la Céleste Mogador, devenue comtesse de Chabrillan, de la reine Pomaré, de Rigolboche et de tant d'autres danseuses pour lesquelles le summum du talent ne consistait pas uniquement alors à montrer leur derrière à un public de crétins, de jeunes ratés, d'artistes de, tabagies et de lupanars et de souteneurs du plus bas étage.

    Le chahut, Seurat, 1890

    Le chahut, Georges Seurat 1890
    Le chahut en tant que danse est à présent connu sous le nom de cancan. 

    Tohu-bohu

    Le tohu-bohu s'applique en français à un grand désordre. Par extension, il décrit un état de grande confusion, puis un tumulte bruyant.

    C'est sous le nom de Tohu et Bohu que Rabelais a baptisé deux îles du Quart Livre : 

    Ce mesmes iour passa Pantagruel les deux isles de Thohu & Bohu : es quelles ne trouvasmes que frire. Bringuenarilles le grand géant avoit toutes les paelles, paellons, chauldrons, coquasses, lichefretes, & marmites du pays avallé, en faulte de moulins à vent, des quelz ordinairement il se paissoit.

    Voici un mot dont j'aurais parié qu'il était au moins d'origine tupi ! Mais il n'en est rien : c'est une transcription d'une locution hébraïque de la Genèse, tohû webohû, signifiant mot à mot 'solitude et désert', et désignant le chaos primitif.

    Sarabande

    Sarabande s'emploie pour parler de manière familière d'un vacarme dû à des jeux bruyants.

    Le mot viendrait d'un mot espagnol d'origine arabe, issu du persan serbend ou sarband, ayant le sens de 'turban'. Furetière, pour sa part, pensait que Sarabanda était le nom de la danseuse qui la dansa la première en France.

    La sarabande est d'abord une danse à trois temps d'origine arabe, apparue en Espagne au 16e siècle. A l'origine, il s'agissait d'une danse endiablée, rapide, accompagnée par les castagnettes, qui fut populaire en Espagne entre 1580 et 1610.

    Introduite en France vers 1620, elle est encore rapide. Certains la considèrent comme une danse enseignée par le diable aux sorcières qui la dansent au sabbat (voir ci-dessus). Dansée au bal et au théâtre, elle s'assagit et adopte au contraire un mouvement lent et noble, proche de celui du menuet. Elle resta à la mode aux 17e et 18e siècles. 

    Du bruit dans Landerneau

    Tout le monde connaît la Sarabande de Haendel, utilisée pour le générique du film Barry Lyndon. Le ton en est grave, presque mélancolique. On est loin de la sarabande endiablée.

    Chambard

    Le chambard se dit familièrement d'un désordre ou d'un bouleversement. Il peut évoquer également un bruit intense ou des protestations tapageuses.

    Le mot chambard est un déverbal de chambarder, lui-même d'origine obscure. Le mot se serait introduit par l'argot des marins au sens de 'renverser', 'briser'. Il se serait alors répandu, vers 1880, dans le langage familier avec le sens de 'mettre sens dessus dessous'.

    En argot des Polytechniciens, le chambard est un chahut (voir plus haut). 

    La terre perd la boule
    Et fait sauter ses foules
    Voici finalement
    Le grand le grand
    Voici finalement
    Le grand chambardement.

    Guy Béart, Le grand chambardement

    Tapage

    Le mot 'tapage', attesté depuis 1695, s'est spécialisé pour exprimer un bruit violent et confus. Par ces valeurs, il s'est détaché du verbe taper, dont il est issu (Dictionnaire historique de la langue française, Alain Rey) . Le verbe 'taper' est de formation beaucoup plus ancienne : on le rencontre au 12e siècle, à propos du faucon saisissant une proie au vol. Il s'est probablement formé à partir d'une onomatopée exprimant le bruit d'un coup bref.

    En droit français, le tapage est le fait de provoquer un bruit susceptible de gêner des voisins. L'auteur d'un tapage peut être condamné à une contravention pouvant aller jusqu'à 450 €. Contrairement à une idée répandue, le code civil ne distingue pas le tapage diurne et le tapage nocturne. 

    Du bruit dans Landerneau

    Tapage nocturne est une comédie policière de 1951.

    Saviez-vous que Frédéric Chopin avait été condamné pour tapage de Nocturne ? Son camarade Charles Gounod, quant à lui, a été poursuivi pour Faust et usage de Faust, mais c'est une autre histoire. Cette bonne plaisanterie me faisait beaucoup rire quand j'étais jeune. J'ai retrouvé trace de la blague sur Gounod dans Signé Furax de Pierre Dac et Francis Blanche, mais je cherche encore la référence pour celle concernant Chopin.  

    Barouf

    Pour conclure, un dernier synonyme de grand bruit et de tapage. Barouf, sous son air familier, voire argotique, n'est arrivé dans la langue française qu'en 1861. Issu du haut-allemand bihruofjan, 'crier ensemble', le mot italien baruffa, 'querelle confuse', était apparemment en usage dans les ports de Méditerranée en 1830 sous la forme baroufa, terme du sabir algérien. Il a été véhiculé ensuite par le provençal barofa

    Dans l'Argonne, dit Lamuse, mon frère m'a écrit qu'i's r'çoivent des tourterelles, qu'i's disent. C'est des grandes machines lourdes, lancées de près. Ça arrive, en roucoulant, de vrai, qu'i m'dit, et quand ça pète, tu parles d'un baroufe qu'i m'dit.
    Barbusse, Le Feu

     

     




  • Commentaires

    1
    Susana Furphy
    Lundi 19 Septembre 2016 à 01:56

    Yo estudio la sarabande y me ha encantado este artículo. Lo citaré. Gracias.

    Dr Susana Furphy

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