• Des arbres tutélaires : le cèdre de Robinson

    Vous allez faire connaissance d'un cèdre géant, qui domine l'île de Robinson, héros du roman de Michel Tournier, Vendredi ou les limbes du Pacifique.

    Ayant escaladé un chaos rocheux, Robinson Crusoé découvre qu'il s'est échoué sur une île, qu'il baptise par désespoir l'île de la Désolation. Accablé et épuisé, il s'endort dans une grotte :

    Un cèdre gigantesque qui prenait racine aux abords de la grotte s'élevait, bien au-dessus du chaos rocheux, comme le génie tutélaire de l'île. Lorsque Robinson s'éveilla, une faible brise nord-ouest animait ses branches de gestes apaisants. Cette présence végétale le réconforta et lui aurait fait pressentir ce que l'île pouvait pour lui, si toute son attention n'avait été requise et aspirée par la mer.

    A

    Tivadar Kosztka CsontváryCèdre solitaire 1907

    Musée Csontváry, Pécs (Hongrie)

    Les années passent. Robinson Crusoé a domestiqué et organisé l'île, désormais nommée Speranza, la dotant même d'un code :

    Située au centre de l'île au pied du cèdre géant, ouverte comme un gigantesque soupirail à la base du chaos rocheux, la grotte avait toujours revêtu une importance fondamentale aux yeux de Robinson. Mais elle n'avait longtemps été pour lui que le coffre-fort où il amassait avarement ce qu'il avait de plus précieux au monde : ses récoltes de céréales, ses conserves de fruits et de viandes, plus profondément ses coffres de vêtements, ses outils, ses armes, son or, enfin en dernier lieu, dans le fond le plus reculé, ses tonneaux de poudre noire qui auraient suffi à faire sauter toute l'île.

    C'est au-delà de la poudrière, dans un boyau profond, que Robinson va se lover et se livrer ainsi à une expérience 'tellurique', où il devient en quelque sorte le fœtus de l'île.

    Ayant sauvé un jeune Indien destiné à être mis à mort par ses compagnons, il initie celui qu'il appelle Vendredi à son mode de civilisation et en fait son esclave. Mais un jour, Vendredi provoque l'explosion de la poudrière, ayant fumé en cachette la pipe de son maître. Tous les biens de Robinson, patiemment assemblés, fabriqués, cultivés, sont irrémédiablement détruits. La grotte est effondrée. Robinson et Vendredi rassemblent sous le cèdre géant, apparemment intact, quelques objets endommagés retrouvés parmi les décombres. 

    Ne sachant où dormir, ils s'étendirent tous deux sous le grand cèdre, parmi leurs reliques. Le ciel était clair, mais une forte brise nord-ouest tourmentait la cime des arbres. Pourtant les lourdes branches du cèdre ne participaient pas au palabre de la forêt, et Robinson, étendu sur le dos, voyait leur silhouette immobile et dentelée se découper à l'encre de Chine au milieu des étoiles.

    Mais la nuit est de courte durée :

    La terre remua derechef et quelque chose en sortit. Quelques chose de dur et de froid qui demeurait fortement ancré dans le sol. Une racine. Ainsi donc pour couronner cette journée effrayante, les racines prenaient vie et saillaient d'elles-mêmes hors de terre ! Robinson, résigné à toutes les merveilles, fixait toujours les étoiles à travers les branches de l'arbre. C'est alors qu'il vit sans erreur possible toute une constellation glisser d'un coup vers la droite, disparaître derrière un rameau et reparaître de l'autre côté. Puis elle s'immobilisa. Quelques secondes plus tard, un long et déchirant craquement fendit l'air. Vendredi était déjà sur ses pieds et aidait Robinson à se lever à son tour. Ils s'enfuirent à toutes jambes au moment où le sol basculait sous eux. Le grand cèdre glissait lentement parmi les étoiles et s'abattait avec un grondement de tonnerre au milieu des autres arbres, comme un géant qui tombe dans les herbes hautes. La souche dressée verticalement tenait embrassée toute une colline de terre dans ses bras crochus et innombrables. Un silence formidable succéda à ce cataclysme. Miné par l'explosion, le génie tutélaire de Speranza n'avait pas résisté au souffle vigoureux - bien que sans rafales - qui animait les frondaisons. 

    Découvert par Robinson par une faible brise nord-ouest, le cèdre qui veillait sur l'île s'est abattu, par une forte brise nord-ouest.

    Désormais délivré de l'ordre qu'il avait instauré sur l'île, Robinson peut découvrir avec son compagnon la liberté et la vie sauvage.

     


  • Commentaires

    1
    Jeudi 12 Novembre 2015 à 11:13

    J'habite à un km de l'arborétum et je connais bien son cèdre. Je vais faire un article surlui. J'ai surtout sur ma terrasse un arrière petit fils de ce cèdre pleureur du Liban acheté à l'ancien propriétaire de arboretum. Mon cèdre a 40 ans et ressemble plutôt à un dinosaure. Je publierai des photos.

      • Jeudi 12 Novembre 2015 à 20:57

        Je ne sais pas si le cèdre de Robinson était un cèdre pleureur comme celui de l'arboretum de la Vallée aux Loups. Cet arbre tout à fait extraordinaire vient d'être élu arbre de l'année 2015. 

        Cela doit être une fierté d'élever un petit-fils de ce fameux cèdre !

         

         

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