• Décrire la musique

    Comment décrire une musique ? Comment rendre compte de ce que l'on ne peut pas voir ? Comment traduire les sons et leur ordonnance, les impressions et les sentiments que leur auditions déclenchent ?

    Quelques écrivains se sont attelés à cette tâche avec bonheur.

    Jonathan Coe et la Pastorale d'été d'Arthur Honegger

    Dans Expo 58, Jonathan Coe nous entraîne à Bruxelles en 1958.  Sur fond de guerre froide et d'espionnage, des personnages venus de pays divers se croisent à l'occasion de L'Exposition universelle, dans ce joli roman, teinté d'humour léger et de romance mélancolique.

    L'Américaine Emily et l'Anglais Thomas se rendent à un concert au Grand Auditorium. Le programme débute par la Pastorale d'été, d'Arthur Honegger. Mais Emily se méfie de la musique moderne.

    Lorsque le célèbre M. Ansermet leva sa baguette, Emily ouvrit un oeil soupçonneux, voire réprobateur, mais au bout de quelques mesure sa réticence avait fondu comme neige au soleil.

    Tout commençait par un motif au doux balancement, joué, ou plutôt murmuré, par les violoncelles. Très vite, au-dessus, la mélodie principale s'élevait du cor anglais. A la flânerie de ses longues phrases lentes répondaient des accords de violon, haut perchés, aux dissonances subtiles. Le hautbois reprenait alors le thème, où la flûte glissait le gazouillis de ses interjections fluides. La trame que tissaient les cordes, le cor et les bois se fondait en un tout complexe et parfaitement lisse qui, même sans le titre, aurait évoqué un après-midi d'été hors du temps, nimbé d'une brume de chaleur. Le thème central revenait, plus insistant, plus charmeur, repris par les premiers violons, mais l'atmosphère langoureuse était bientôt rompue par un intermède turbulent, où un air que l'on retenait instantanément - car emprunté au folklore, sans nul doute - était introduit par une clarinette solo. Pendant quelques minutes, il régnait une gaieté endiablée. A l'issue d'un crescendo délicieux, l'intermède s'évaporait pour céder la place au thème principal, retour d'un vieil ami. De nouveau, il s'élevait puis redescendait, tendre conversation sans fin renouvelée entre les différentes sections de l'orchestre, jusqu'à ce qu'il s'évanouisse lui-même parmi les fioritures des violons à l'archet aérien, les derniers trilles de la flûte et de la clarinette. Quintessence parfaite d'une époque et d'une humeur.

    La sonate de Vinteuil

    Marcel Proust évoque à plusieurs reprises la sonate de Vinteuil, dans Un amour de Swann.  Cet air pour piano et violon, qui bouleverse Swann, est devenu emblématique de l'oeuvre de Proust. La "petite phrase" musicale que retient Swann accompagne son amour pour Odette.

    Vinteuil est un compositeur imaginaire, mais qui tient à la fois de compositeurs bien réels, tels Fauré, Saint-Saens, Franck ou Debussy. La sonate elle-même, cependant plusieurs fois décrite, n'existe pas. Il semblerait que Proust se soit inspiré de différents morceaux pour imaginer sa sonate : la Sonate n° 1 pour violon et piano de  Saint-Saëns, L'enchantement du vendredi Saint dans Parsifal de Wagner, la sonate FWV 8 en la majeur de César Franck, un prélude de Lohengrin de Wagner, la ballade opus 19 pour piano et orchestre de Fauré.

    Il semble difficile de faire une synthèse de ces différentes pièces : certaines ont une tonalité intimiste (Fauré), d'autres offrent de grands mouvements amples (Wagner). La sonate de Franck, très belle et touchante, avec son gracieux motif qui revient comme un refrain, me paraît bien correspondre aux descriptions de la sonate de Vinteuil : 

    • D'un rythme lent elle le dirigeait ici d'abord, puis là, puis ailleurs, vers un bonheur noble, intelligible et précis. Et tout d'un coup, au point où elle était arrivée et d'où il se préparait à la suivre, après une pause d'un instant, brusquement elle changeait de direction, et d'un mouvement nouveau, plus rapide, menu, mélancolique, incessant et doux, elle l'entraînait avec elle vers des perspectives inconnues. Puis elle disparut. Il souhaita passionnément la revoir une troisième fois.
    • Cette soif d'un charme inconnu, la petite phrase l'éveillait en lui, mais ne lui apportait rien de précis pour l'assouvir. De sorte que ces parties de l'âme de Swann où la petite phrase avait effacé le souci des intérêts matériels, les considérations humaines et valables pour tous, elle les avait laissées vacantes et en blanc, et il était libre d'y inscrire le nom d'Odette. Puis à ce que l'affection d'Odette pouvait avoir d'un peu court et décevant, la petite phrase venait ajouter, amalgamer son essence mystérieuse.
    • Par là, la phrase de Vinteuil avait [...] épousé notre condition mortelle, pris quelque chose d’humain qui était assez touchant. Son sort était lié à l’avenir, à la réalité de notre âme dont elle était un des ornements les plus particuliers, les mieux différenciés. Peut-être est-ce le néant qui est le vrai et tout notre rêve est-il inexistant, mais alors nous sentons qu’il faudra que ces phrases musicales, ces notions qui existent par rapport à lui, ne soient rien non plus. Nous périrons mais nous avons pour otages ces captives divines qui suivront notre chance. Et la mort avec elles a quelque chose de moins amer, de moins inglorieux, peut-être de moins probable.

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :